Andreï Bodrov et le Gostrust Tochmekh (1ère partie)
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Andreï Bodrov et le Gostrust Tochmekh (1ère partie)
Je poursuis ma série d'articles sur la période pré-industrielle de l'horlogerie soviétique.
Comme on l'a vu (ici), après la révolution et la guerre civile, ce qui restait des entreprises horlogères Kahn, Buhre et Moser, ainsi que ce qui restait d'une poussière de petites entreprises et ateliers horlogers, étaient soit nationalisés, soit collectivisés sous forme de coopératives de production autogérées, les "artels" (Артель ).
Mises en réseau, les entreprises horlogères ont eu pour tutelle divers organismes, soit successivement:
- En 1920, la Direction générale des fabriques de mécanique de précision, d'optique, de chirurgie et d'instruments médicaux (Glavtochmekh) de la Division des métaux du Conseil économique suprême [Главное управление заводами точной механики, оптики, хирургических и медицинских инструментов (Главточмех) Отдела металла ВСНХ].
- En 1920-1921, la Direction générale des fabriques de mécanique de précision (Glavtochmeh) de la Division des métaux du Conseil économique suprême [Главное управление заводами точной механики (Главточмех) Отдела металла ВСНХ].
- En 1921-1922, la Direction générale de l'industrie métallurgique d'État du Conseil économique suprême [Главное управление государственной металлической промышленности ВСНХ].
En 1922, à la fin de la guerre civile, elles sont finalement chapeautées par l'organisme qui nous intéresse: le Trust d'État des Mécaniques de Précision (Государственный трест точной механики), en abrégé le Gostrust Tochmekh (Гострест Точмех).
Dès sa fondation, le Tochmekh sera placé sous la direction d'Andreï Mikhaïlovich Bodrov.
Il était né à Toul, dans le district de Venevsky, en 1896 mais sa famille avait déménagé dans la région de Saint-Pétersbourg. Son père et son oncle y étaient membres d'un cercle révolutionnaire clandestin proche de Lénine. En 1910, Bodrov devient apprenti à la Fabrique Tilemans où il rejoint le syndicat des métallurgistes. Deux ans plus tard, il travaille dans l'atelier de maquettes de l'usine Poutilov, bastion bolchevique, et continue à s'impliquer dans des activités politiques et sociales: il devient ainsi président de la première société culturelle et éducative de la région Narva.
Andreï Bodrov
En 1915, Bodrov a rejoint Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie et parvient à réorganiser les bolcheviks de la région de Narva. Il a réussi à réunir 50 autres membres du parti sans d'abord parvenir à se connecter aux instances du Parti. Lorsque le lien avec le comité de Petrograd a finalement été établi, toute l'organisation du district du POSDR passe aux bolcheviks. En 1915, Bodrov se rend à Smolensk puis à Toula. Il revient à Petrograd le 7 février 1917 juste avant la révolution.
Il élu député du Soviet de Petrograd et devint bientôt membre du comité de Petrograd.
En tant que membre du comité de district, il a, avec d'autres bolcheviks, appelé les masses à soutenir le soulèvementmé et a activement participé, en octobre, au renversement du gouvernement provisoire. À la fin de 1917, alors qu'il travaillait à la Fabrique de poudre à canon d'Okhta, le parti bolchevique l'envoya à Petrograd, où il s'engagea dans la formation de l'Armée rouge.
Bodrov a participé à la guerre civile en tant que chef du département politique de plusieurs armées rouges. C'est à son retour de la guerre civile qu'il se voit attribuer la direction du Tochmekh. Il sera assisté par un conseil d'admnistration qui comptera (à partir de 1926) un horloger-tchékiste célèbre: Iakov Iourovski (voir ici).
Le siège du Tochmekh à Moscou (anciens magasins Buhre)
Comme son nom l'indique, le Gostrust Tochmekh ne s'occupait pas que d'horlogerie, c'est pour cela qu'outre les anciennes entreprises Moser, Buhre et Kahn, il s'en verra attribuer d'autres.
Parmi celles-ci, la société moscovite E. S. Troundine, le plus ancien et le plus fameux fabriquant d'instruments de physique (thermomètres, baromètres, etc.), d'optique (microscopes, télescopes théodolites, etc.), d'orthopédie et de chirurgie de Russie (elle remonte au XVIIIe siècle!). Nationalisée en 1921, l'entreprise allait être rebaptisée Fabrique "Metron" (завод "Метрон").
Le siège et le grand magasin de la sociétés Troudine, à Moscou
Des poids et mesures fabriquées par la Fabrique "Metron" pour le Tochmekh
La situation économique au moment de la fondation du Tochmekh est celle de la NEP. Le "communisme de guerre" (avec ses réquisitions forcées) de la guerre civile faisait place à un retour de l'économie de marché (où l'état ne procédait plus en réquisitionnant selon ses besoins mais par un système d'imposition laissant une marge de profit aux paysans et commerçants).
Cela signifiait que des institution comme le Tochmekh devaient à la fois obéir à une logique socialiste (satisfaire aux besoins de l'état, spécifiquement fournir des montres aux chemins de fer et à l'armée) et à une logique capitaliste (en vendant avec profit ses montres sur le marché).
Le Tochmekh va se consacrer à la réparation des montres mais aussi à leur production.
La production est de trois types:
1° Les montres reconstituées
Il y avait un réseau de magasins "Torgsin" (Торгсин) où l'or était échangé en échange de nourriture et de biens de consommation importés. A l'issue de la guerre civile, la marginalisation des anciens nobles et bourgeois a fait que de nombreuses bijoux et montres en or étaient apportées à ces magasin. L'or partait vers le Fonds d'État des métaux précieux (dirigé en 1921 par Iakov Iourovski) et les mécanisme allaient au Tochmekh pour un ré-emboîtage. Cette source de mécanisme s'est peu à peu tarie.
2° Les montres avec des mécanismes locaux
Les ateliers Moser ont pu produire des mécanismes (parfois en récupérant d'autres pièces), dont le modèle le plus courant est celui produit pour le Commissairat aux transports (НКПС)
3° Les montres avec des mécanismes importés
Le Tochmekh centralisait les achats à l'étranger et répartissait les mécnismes importés dans les structures de productions (entreprises nationalisées ou coopératives), et c'est lui qui en assurait la distribution et la commercialisation des produits finis. Cette production a été faites à partir de mécanismes suisses importés. On trouve sous la marque "Gostrust Tochmekh", plusieurs types de montres-bracelets et de poche dans des boîtiers en nickel. Il s'agit le plus souvent de calibres Unitas, parfois des calibres Cyma ou Tavannes.
Quelques types de montres produites par le Tochmekh, en bas à gauche, une montre destinée au Commissariat du Peuple aux Transports (НКПС)
Il faut dire que la révolution d'Octobre avait été un véritable désastre pour l'industrie horlogère suisse. La Russie représentait un marché d'exportation énorme et des milliers d'horlogers suisses se retrouvèrent au chômage. À la fin de la guerre civile, les chefs d'entreprises suisses ont contacté les représentants soviétiques à Berlin, espérant relancer les importations d'avant-guerre.
Le gouvernement soviétique n'était pas moins intéressé. Une note du Conseil économique de Moscou au Conseil économique suprême, exposait que "Chaque révolution culturelle nécessite avant tout de l'exactitude et de la précision dans le travail. Chaque employé d'un État socialiste doit respecter le temps de la société dans son ensemble et de chaque camarade séparément: ne pas attendre et ne pas attendre pour d'autres, il faut des montres pour éduquer des personnes exactes et précises. Un ouvrier et un paysan ont besoin de montres; en l'état, un produit horloger est un produit très rentable pour accumuler des fonds pour l'industrialisation du pays."
Les chemins de fer, les poste et télégraphes, ainsi que l'Armée rouge avait désespérément besoin de montres. Une montre (avec une boussole) était le principal moyen de navigation aérienne. Sans montre, aucun bombardements ni tirs d'artillerie précis n'était possible. Le Conseil militaire révolutionnaire inondait le Commissariat du peuple au commerce extérieur d'ordres d'achat de montres.
Un catalogue du Tochmekh de 1924
Le 2 mars 1923, la mission commerciale de la Russie soviétique en Allemagne a informé Léonid Krassine, Commissaire du peuple au commerce extérieur, qu'ils avaient été approchés par des représentants de cinq sociétés horlogères suisses de seconds ordre (Stoll, Ditesheim, Schrob frères, Schrob fils et Hirsch) avec la proposition de constituer société par actions mixte pour importer des montres de poche et des montres-bracelets en Russie. Malgré la petite taille de ces entreprises, elles acceptèrent immédiatement la condition imposée par la partie soviétique: accorder à la Russie un prêt pour l'achat de montres d'un montant de un million de roubles-or.
Ce projet était bien avancé quand le Conseil économique suprême y mis un terme pour la raison suivante : "Toutes les entreprises ci-dessus sont connues comme des fabricants de montres de la plus basse qualité. Avant la guerre, ces montres étaient importées de Suisse jusqu'à 8,5 millions de pièces, principalement à Varsovie, d'où elles se vendaient à l'aide de publicités. Actuellement, ces sociétés ont accumulé d'importants stocks de montres de qualité inadéquate, qu'ils ont l'intention de vendre à la Russie en raison du manque de demande dans d'autres pays. L'offre de ces cinq sociétés horlogères est non seulement sans intérêt, mais devrait au contraire provoquer des mesures pour éviter que leurs marchandises entrent en Russie. "
Au même moment, les représentants soviétiques à Berlin négociaient avec de grandes sociétés horlogères suisses : Buhre, Moser, Nardin, Doxa, Tissot, Le Coultres, Tavannes, Omega, Longine et Zenith. Assez rapidement, Moscou a approuvé la formation d'une société anonyme Tsentrochassi ("Центрочасы") avec ces sociétés. Selon les termes du pré-accord, la partie soviétique recevait 49% des actions de la société par actions, et 49% étaient répartis également entre les sociétés suisses (je ne sais pas qui héritait des deux derniers pour-cents). Le Conseil économique suprême approuva ("Les sociétés susmentionnées sont les meilleures sociétés horlogères suisses, de renommée mondiale") et en mai 1923, la mission commerciale de Berlin reçut des instructions sur la manière d'avancer dans la fondation de la Tsentrochassi.
Mais quelques semaines avant la signature, le 10 mai 1923, une Russe blanc abattait à Lausanne l'ambassadeur de l'URSS en Italie, Vaclav Vorovski. Un tribunal suisse acquitte le terroriste et le 20 juin, le Comité exécutif central panrusse et le Conseil des commissaires du peuple publient un décret conjoint sur le boycott des entreprises suisses.
Auguste Reymond fabriquait des montres de marque ARSA et des ébauches de marque UNITAS. Ces dernières étaient massivement importées par le Tochmekh avant la crise diplomatique de 1923
Le diplomate soviétique Vaclav Vorovski, assassiné à Lausanne, la crise diplomatique entre l'URSS et la Suisse ne prit fin qu'en 1946
La mission berlinoise a demandé à Moscou si le boycott s'étend aux négociations sur le Tsentrochassi, et s'est vu répondre que de nouvelles négociations devraient être menées avec les entreprises horlogères allemandes (l'Allemagne était un gros exportateur de montres vers la Russie avant-guerre), mais ces négociations n'aboutirent pas, les entreprises étant plus intéressées par exporter des mécanismes et des montres vers l'URSS que d'aider à créer une industrie horlogère indigène.
Entre 1922 et 1928, le Gostrtust Tochmekh va successivement dépendre:
- En 1922-23, de la Direction générale de l'industrie métallurgique d'État du Conseil économique suprême [Главного управления государственной металлической промышленности ВСНХ]
- En 1923-24, directement du Conseil économique suprême de la République socialiste fédérative soviétique de Russie [ВСНХ РСФСР]
- En 1924-25, de l'Administration industrielle d'État du Conseil économique suprême de la RSFSR [Управления государственной промышленности ВСНХ РСФСР]
- En 1925-27, à nouveau directement directement du Conseil économique suprême de la RSFSR. [ВСНХ РСФСР]
- En 1927-28, du Comité exécutif provincial de Moscou des travailleurs, paysans et députés de l'Armée rouge [Московского губернского исполнительного комитета рабочих, крестьянских и красноармейских депутатов]
Comme on l'a vu (ici), après la révolution et la guerre civile, ce qui restait des entreprises horlogères Kahn, Buhre et Moser, ainsi que ce qui restait d'une poussière de petites entreprises et ateliers horlogers, étaient soit nationalisés, soit collectivisés sous forme de coopératives de production autogérées, les "artels" (Артель ).
Mises en réseau, les entreprises horlogères ont eu pour tutelle divers organismes, soit successivement:
- En 1920, la Direction générale des fabriques de mécanique de précision, d'optique, de chirurgie et d'instruments médicaux (Glavtochmekh) de la Division des métaux du Conseil économique suprême [Главное управление заводами точной механики, оптики, хирургических и медицинских инструментов (Главточмех) Отдела металла ВСНХ].
- En 1920-1921, la Direction générale des fabriques de mécanique de précision (Glavtochmeh) de la Division des métaux du Conseil économique suprême [Главное управление заводами точной механики (Главточмех) Отдела металла ВСНХ].
- En 1921-1922, la Direction générale de l'industrie métallurgique d'État du Conseil économique suprême [Главное управление государственной металлической промышленности ВСНХ].
En 1922, à la fin de la guerre civile, elles sont finalement chapeautées par l'organisme qui nous intéresse: le Trust d'État des Mécaniques de Précision (Государственный трест точной механики), en abrégé le Gostrust Tochmekh (Гострест Точмех).
Dès sa fondation, le Tochmekh sera placé sous la direction d'Andreï Mikhaïlovich Bodrov.
Il était né à Toul, dans le district de Venevsky, en 1896 mais sa famille avait déménagé dans la région de Saint-Pétersbourg. Son père et son oncle y étaient membres d'un cercle révolutionnaire clandestin proche de Lénine. En 1910, Bodrov devient apprenti à la Fabrique Tilemans où il rejoint le syndicat des métallurgistes. Deux ans plus tard, il travaille dans l'atelier de maquettes de l'usine Poutilov, bastion bolchevique, et continue à s'impliquer dans des activités politiques et sociales: il devient ainsi président de la première société culturelle et éducative de la région Narva.
Andreï Bodrov
En 1915, Bodrov a rejoint Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie et parvient à réorganiser les bolcheviks de la région de Narva. Il a réussi à réunir 50 autres membres du parti sans d'abord parvenir à se connecter aux instances du Parti. Lorsque le lien avec le comité de Petrograd a finalement été établi, toute l'organisation du district du POSDR passe aux bolcheviks. En 1915, Bodrov se rend à Smolensk puis à Toula. Il revient à Petrograd le 7 février 1917 juste avant la révolution.
Il élu député du Soviet de Petrograd et devint bientôt membre du comité de Petrograd.
En tant que membre du comité de district, il a, avec d'autres bolcheviks, appelé les masses à soutenir le soulèvementmé et a activement participé, en octobre, au renversement du gouvernement provisoire. À la fin de 1917, alors qu'il travaillait à la Fabrique de poudre à canon d'Okhta, le parti bolchevique l'envoya à Petrograd, où il s'engagea dans la formation de l'Armée rouge.
Bodrov a participé à la guerre civile en tant que chef du département politique de plusieurs armées rouges. C'est à son retour de la guerre civile qu'il se voit attribuer la direction du Tochmekh. Il sera assisté par un conseil d'admnistration qui comptera (à partir de 1926) un horloger-tchékiste célèbre: Iakov Iourovski (voir ici).
Le siège du Tochmekh à Moscou (anciens magasins Buhre)
Comme son nom l'indique, le Gostrust Tochmekh ne s'occupait pas que d'horlogerie, c'est pour cela qu'outre les anciennes entreprises Moser, Buhre et Kahn, il s'en verra attribuer d'autres.
Parmi celles-ci, la société moscovite E. S. Troundine, le plus ancien et le plus fameux fabriquant d'instruments de physique (thermomètres, baromètres, etc.), d'optique (microscopes, télescopes théodolites, etc.), d'orthopédie et de chirurgie de Russie (elle remonte au XVIIIe siècle!). Nationalisée en 1921, l'entreprise allait être rebaptisée Fabrique "Metron" (завод "Метрон").
Le siège et le grand magasin de la sociétés Troudine, à Moscou
Des poids et mesures fabriquées par la Fabrique "Metron" pour le Tochmekh
La situation économique au moment de la fondation du Tochmekh est celle de la NEP. Le "communisme de guerre" (avec ses réquisitions forcées) de la guerre civile faisait place à un retour de l'économie de marché (où l'état ne procédait plus en réquisitionnant selon ses besoins mais par un système d'imposition laissant une marge de profit aux paysans et commerçants).
Cela signifiait que des institution comme le Tochmekh devaient à la fois obéir à une logique socialiste (satisfaire aux besoins de l'état, spécifiquement fournir des montres aux chemins de fer et à l'armée) et à une logique capitaliste (en vendant avec profit ses montres sur le marché).
Le Tochmekh va se consacrer à la réparation des montres mais aussi à leur production.
La production est de trois types:
1° Les montres reconstituées
Il y avait un réseau de magasins "Torgsin" (Торгсин) où l'or était échangé en échange de nourriture et de biens de consommation importés. A l'issue de la guerre civile, la marginalisation des anciens nobles et bourgeois a fait que de nombreuses bijoux et montres en or étaient apportées à ces magasin. L'or partait vers le Fonds d'État des métaux précieux (dirigé en 1921 par Iakov Iourovski) et les mécanisme allaient au Tochmekh pour un ré-emboîtage. Cette source de mécanisme s'est peu à peu tarie.
2° Les montres avec des mécanismes locaux
Les ateliers Moser ont pu produire des mécanismes (parfois en récupérant d'autres pièces), dont le modèle le plus courant est celui produit pour le Commissairat aux transports (НКПС)
3° Les montres avec des mécanismes importés
Le Tochmekh centralisait les achats à l'étranger et répartissait les mécnismes importés dans les structures de productions (entreprises nationalisées ou coopératives), et c'est lui qui en assurait la distribution et la commercialisation des produits finis. Cette production a été faites à partir de mécanismes suisses importés. On trouve sous la marque "Gostrust Tochmekh", plusieurs types de montres-bracelets et de poche dans des boîtiers en nickel. Il s'agit le plus souvent de calibres Unitas, parfois des calibres Cyma ou Tavannes.
Quelques types de montres produites par le Tochmekh, en bas à gauche, une montre destinée au Commissariat du Peuple aux Transports (НКПС)
Il faut dire que la révolution d'Octobre avait été un véritable désastre pour l'industrie horlogère suisse. La Russie représentait un marché d'exportation énorme et des milliers d'horlogers suisses se retrouvèrent au chômage. À la fin de la guerre civile, les chefs d'entreprises suisses ont contacté les représentants soviétiques à Berlin, espérant relancer les importations d'avant-guerre.
Le gouvernement soviétique n'était pas moins intéressé. Une note du Conseil économique de Moscou au Conseil économique suprême, exposait que "Chaque révolution culturelle nécessite avant tout de l'exactitude et de la précision dans le travail. Chaque employé d'un État socialiste doit respecter le temps de la société dans son ensemble et de chaque camarade séparément: ne pas attendre et ne pas attendre pour d'autres, il faut des montres pour éduquer des personnes exactes et précises. Un ouvrier et un paysan ont besoin de montres; en l'état, un produit horloger est un produit très rentable pour accumuler des fonds pour l'industrialisation du pays."
Les chemins de fer, les poste et télégraphes, ainsi que l'Armée rouge avait désespérément besoin de montres. Une montre (avec une boussole) était le principal moyen de navigation aérienne. Sans montre, aucun bombardements ni tirs d'artillerie précis n'était possible. Le Conseil militaire révolutionnaire inondait le Commissariat du peuple au commerce extérieur d'ordres d'achat de montres.
Un catalogue du Tochmekh de 1924
Le 2 mars 1923, la mission commerciale de la Russie soviétique en Allemagne a informé Léonid Krassine, Commissaire du peuple au commerce extérieur, qu'ils avaient été approchés par des représentants de cinq sociétés horlogères suisses de seconds ordre (Stoll, Ditesheim, Schrob frères, Schrob fils et Hirsch) avec la proposition de constituer société par actions mixte pour importer des montres de poche et des montres-bracelets en Russie. Malgré la petite taille de ces entreprises, elles acceptèrent immédiatement la condition imposée par la partie soviétique: accorder à la Russie un prêt pour l'achat de montres d'un montant de un million de roubles-or.
Ce projet était bien avancé quand le Conseil économique suprême y mis un terme pour la raison suivante : "Toutes les entreprises ci-dessus sont connues comme des fabricants de montres de la plus basse qualité. Avant la guerre, ces montres étaient importées de Suisse jusqu'à 8,5 millions de pièces, principalement à Varsovie, d'où elles se vendaient à l'aide de publicités. Actuellement, ces sociétés ont accumulé d'importants stocks de montres de qualité inadéquate, qu'ils ont l'intention de vendre à la Russie en raison du manque de demande dans d'autres pays. L'offre de ces cinq sociétés horlogères est non seulement sans intérêt, mais devrait au contraire provoquer des mesures pour éviter que leurs marchandises entrent en Russie. "
Au même moment, les représentants soviétiques à Berlin négociaient avec de grandes sociétés horlogères suisses : Buhre, Moser, Nardin, Doxa, Tissot, Le Coultres, Tavannes, Omega, Longine et Zenith. Assez rapidement, Moscou a approuvé la formation d'une société anonyme Tsentrochassi ("Центрочасы") avec ces sociétés. Selon les termes du pré-accord, la partie soviétique recevait 49% des actions de la société par actions, et 49% étaient répartis également entre les sociétés suisses (je ne sais pas qui héritait des deux derniers pour-cents). Le Conseil économique suprême approuva ("Les sociétés susmentionnées sont les meilleures sociétés horlogères suisses, de renommée mondiale") et en mai 1923, la mission commerciale de Berlin reçut des instructions sur la manière d'avancer dans la fondation de la Tsentrochassi.
Mais quelques semaines avant la signature, le 10 mai 1923, une Russe blanc abattait à Lausanne l'ambassadeur de l'URSS en Italie, Vaclav Vorovski. Un tribunal suisse acquitte le terroriste et le 20 juin, le Comité exécutif central panrusse et le Conseil des commissaires du peuple publient un décret conjoint sur le boycott des entreprises suisses.
Auguste Reymond fabriquait des montres de marque ARSA et des ébauches de marque UNITAS. Ces dernières étaient massivement importées par le Tochmekh avant la crise diplomatique de 1923
Le diplomate soviétique Vaclav Vorovski, assassiné à Lausanne, la crise diplomatique entre l'URSS et la Suisse ne prit fin qu'en 1946
La mission berlinoise a demandé à Moscou si le boycott s'étend aux négociations sur le Tsentrochassi, et s'est vu répondre que de nouvelles négociations devraient être menées avec les entreprises horlogères allemandes (l'Allemagne était un gros exportateur de montres vers la Russie avant-guerre), mais ces négociations n'aboutirent pas, les entreprises étant plus intéressées par exporter des mécanismes et des montres vers l'URSS que d'aider à créer une industrie horlogère indigène.
Entre 1922 et 1928, le Gostrtust Tochmekh va successivement dépendre:
- En 1922-23, de la Direction générale de l'industrie métallurgique d'État du Conseil économique suprême [Главного управления государственной металлической промышленности ВСНХ]
- En 1923-24, directement du Conseil économique suprême de la République socialiste fédérative soviétique de Russie [ВСНХ РСФСР]
- En 1924-25, de l'Administration industrielle d'État du Conseil économique suprême de la RSFSR [Управления государственной промышленности ВСНХ РСФСР]
- En 1925-27, à nouveau directement directement du Conseil économique suprême de la RSFSR. [ВСНХ РСФСР]
- En 1927-28, du Comité exécutif provincial de Moscou des travailleurs, paysans et députés de l'Armée rouge [Московского губернского исполнительного комитета рабочих, крестьянских и красноармейских депутатов]
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