Vladimir "Wolf" Pruss, pionnier de l'horlogerie soviétique (1ère partie)
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Vladimir "Wolf" Pruss, pionnier de l'horlogerie soviétique (1ère partie)
"Mon" bar est fermé pour cause de coronavirus, alors pour me désoeuvrer et pour distraire ceux d'entre vous qui sont aussi lock-downés, une petit feuilleton
Vladimir « Wolf » Osipovich Pruss est né le 18 février 1883 dans une famille juive pieuse de Gorodok (en Biérolorusse : Haradok), province de Vitebsk, dans la "zone de résidence" où les Juifs de l'empire russe étaient confinés, n'en pouvant sortir qu'avec une autorisation particulière. A la fin du XIXe siècle, 68 % des habitants de la ville étaient des Juifs. Le patriarche de la famille Pruss était le célèbre rabbin de la synagogue de la rue Staro-Nevelskaya.
Au lieu de devenir rabbin dans la tradition familiale, le jeune Vladimir (ou plutôt le jeune Velvel comme on disait alors en yiddish) alla comme apprenti chez son oncle, le frère de sa mère, l'horloger de ville: Alter Vulfovich Chernitsky. Il y apprit les rudiments de l'horlogerie à l'âge de 11 ans. A 12 ans, il fut surpris en train de réparer l'horloge d'un voisin à l'aide d'outils "empruntés" à l'oncle. Cette initiative s'ajoutait à un lourd passif d'enfant désobéissant et peu enclin à respecter les traditions. Il devait fréquenter l'école religieuse traditionnelle mais avait réussi à offenser un rabbin influent à l'école au point d'être maudit.
La carte de la "zone de peuplement" des Juifs, en rouge: les villes où Pruss a séjourné Grodok, Nevel et Velizh
En guise de punition, le père, Joseph, le chassa de Gorodok. Le jeune Pruss alla alors à Nevel, une ville située à 40 kilomètres de là pour devenir apprenti chez un riche horloger. Cette destination, il la doit à sa mère, Evgeniya, qui était issue d'une famille cultivée de la grande ville, Vitebsk, loin des hassidiques ultra-religieux du bourg de Gorodok.
A douze ans, il entre donc comme apprenti dans un atelier de montre artisanale. Au cours des années de formation, il a dû suivre le parcours de l'apprentissage, où, sans salaire mais nourri et blanchi, on commence comme garçon de courses, serviteur du maître et souffre-douleur des apprentis plus anciens. Son patron, un certain Zukerman, remarque ses qualité et lui signe un contrat de deux ans. Mais l'adolescent épris de liberté, il se lie au mouvement démocratique révolutionnaire, se révolte contre les brimades... et se fait mettre à la porte.
La ville de Nevel
Il réside alors brièvement dans le bourg de Velizh sur les rives de la rivière Dvina,. Il y poursuit l'apprentissage de l'horlogerie, devant effectuer des journée de 12 à 14 heures et faire des taches domestiques. En 1900, son M. Prupas, frappe son fils de 10 ans qui s'était mal conduit au moment d'une prière du Shabbat. L'enfant se cogne en tombant et meurt. Pruss a raconté que, de brute qu'il était, Prupas, devint un maitre attentif et prévenant. Une fois le contrat terminé, Prupas a supplié l'adolescent de rester avec lui mais, ayant compris que Pruss était déterminé à partir, il lui donna non seulement des vêtements et de l'argent, mais aussi l'adhésion à la Guilde des horlogers. C’était une ouverture sur le monde, car des artisans qualifiés possédant des références de guilde étaient autorisés à se déplacer partout dans l’Empire, même s’ils étaient juifs. Un an plus, la gouvernement tsariste supprima cette disposition.
Pruss, qui avait alors 17 ans, s'en alla par les chemins et trouva un emploi dans une entreprise de Belgorod, où il réparait des montres pour les sucreries des environs de Koursk et de Kharkov. Il s'y lia à des étudiants révolutionnaires, et fut surpris en train de faire de la propagande aux les soldats de la 31e brigade d'artillerie casernés à Belgorod. Expulsé de la ville, il choisi de tenter sa chance à des milliers de kilomètres de là, sur le nouveau chemin de fer transsibérien, à Irkoutsk.
Pruss y trouva un emploi dans une exploitation aurifère, probablement celle de Yakov Frizer, le découvreur de l'or de Korolon, et comme réparateur de chronomètres de chemin de fer à Irkoutsk. Irkoutsk avait à l'époque une communauté juive dynamique, soudée et politisée, dont beaucoup étaient des Sibériens de 2e et 3e génération, descendants des exilés des soulèvements polonais.
Pruss en 1904
A Pâques 1903, un grand pogrom avait eu lieu à Kichinev, toléré, sinon fomenté, par les autorités. Les organisation juives et démocratiques dénoncèrent ces massacres et, en réponse, elles furent persécutées. Selon les archives de la police tsariste, l'Okhrana, Pruss a été perquisitionné le 3 décembre 1903, en raison de ses liens avec un cercle sioniste-socialiste assez inoffensif d'Irkoutsk : la Fraternité. La perquisition au domicile de Pruss allait être plus fructueuse que prévu, puisque les policiers allaient un énorme stock de littérature révolutionnaire illégale, dont les articles de la presse du Parti ouvrier social démocrate de Russie, et parmi ces derniers ceux du dirigeant du courant menchevik: Martov.
Pruss s'est retrouvé emprisonné dans la forteresse d'Irkoutsk pendant près d'un an. Ses charges comprenaient l'appartenance à une organisation subversive illégale (article 318 du code pénal), la production ou la distribution de littérature antigouvernementale illégale (article 251), ainsi que la création de textes antigouvernementaux pour son propre usage (récemment criminalisé par le nouveau Code pénal).
La prison forteresse d'Irkoutsk
Pruss eut la possibilité d'une libération conditionnelle le 20 juillet 1904, mais il ne pouvait payer l'énorme caution. Survint alors la naissance de l'héritier du trône impérial, célébrée par une amnistie générale pour toutes les infractions politiques. Lourdeurs bureaucratiques aidant, il a fallu des mois pour que la mesure soit effective mais finalement Pruss fut libéré et, à la mi-décembre, autorisé à quitter la ville. Il a déclaré aux autorités qu’il rentrait dans le gouvernement de Vitebsk, mais ses camarades savaient qu’il voulait quitter la Russie.
La guerre russo-japonaise changea la donne. Le mouvement ouvrier et le mouvement contre la guerre et l'autocratie s'élargirent et se radicalisèrent. Début janvier, plus de 100.000 travailleurs de Saint-Pétersbourg se mettent en grève et 150.000 se rendent à un rassemblement le dimanche 9 janvier 1905 pour demander au tsar des libertés, une journée de travail de 8 heures et l'Assemblée constitutionnelle. Les pétitionnaires ont été accueillis par des coups de feu, des centaines ont été tués et au lendemain du Dimanche sanglant, un soulèvement révolutionnaire embrasa toute la Russie.
Le "Dimanche sanglant" à Moscou
Il semble que Pruss s'était arrangé pour passer clandestinement la frontière allemande en utilisant les connexions sociales-démocrates, mais, en raison de la tourmente révolutionnaire, il s'est retrouvé coincé, sous une fausse identité, dans la grande ville juive de Białystok (aujourd'hui en Pologne). Il fut alors une nouvelle fois arrêté dans un appartement clandestin qui servait aussi de cache d'armes. Après plusieurs nuits dans des prisons locales surpeuplées, il a été transféré à Vilnius (aujourd'hui en Lituanie), toujours sous sa fausse identité.
Mais le soulèvement révolutionnaire prit de l'ampleur dans la région, contrôlant des parties entières des villes et des campagnes. Les révolutionnaires exigent et obtiennent la libération de prisonniers politiques et Pruss sort de prison le 25 février 1905. L'effervescence révolutionnaire était telle qu'il renonça à ses projets d'émigration pour se plonger dans le mouvement. Cependant, la contre-révolution allait peu à peu s'imposer et, en raison de lettres découvertes à Irkoutsk, l'Okhrana démasqua la fausse identité de Pruss en avril 1905. Menacé d'arrestation, Pruss dut quitter la Russie et chercher refuge en Suisse.
Sources:
http://riowang.blogspot.com/2016/01/times-and-timepieces-of-wolf-pruss-1.html
https://www.birthofsovietwatchmaking.com
http://www.mishpoha.org/o-zhurnale/zhurnal-mishpokha-39-2019/600-pruss-dmitrij-po-sledam-prussov-i-chernitskikh-v-gorodok
Vladimir « Wolf » Osipovich Pruss est né le 18 février 1883 dans une famille juive pieuse de Gorodok (en Biérolorusse : Haradok), province de Vitebsk, dans la "zone de résidence" où les Juifs de l'empire russe étaient confinés, n'en pouvant sortir qu'avec une autorisation particulière. A la fin du XIXe siècle, 68 % des habitants de la ville étaient des Juifs. Le patriarche de la famille Pruss était le célèbre rabbin de la synagogue de la rue Staro-Nevelskaya.
Au lieu de devenir rabbin dans la tradition familiale, le jeune Vladimir (ou plutôt le jeune Velvel comme on disait alors en yiddish) alla comme apprenti chez son oncle, le frère de sa mère, l'horloger de ville: Alter Vulfovich Chernitsky. Il y apprit les rudiments de l'horlogerie à l'âge de 11 ans. A 12 ans, il fut surpris en train de réparer l'horloge d'un voisin à l'aide d'outils "empruntés" à l'oncle. Cette initiative s'ajoutait à un lourd passif d'enfant désobéissant et peu enclin à respecter les traditions. Il devait fréquenter l'école religieuse traditionnelle mais avait réussi à offenser un rabbin influent à l'école au point d'être maudit.
La carte de la "zone de peuplement" des Juifs, en rouge: les villes où Pruss a séjourné Grodok, Nevel et Velizh
En guise de punition, le père, Joseph, le chassa de Gorodok. Le jeune Pruss alla alors à Nevel, une ville située à 40 kilomètres de là pour devenir apprenti chez un riche horloger. Cette destination, il la doit à sa mère, Evgeniya, qui était issue d'une famille cultivée de la grande ville, Vitebsk, loin des hassidiques ultra-religieux du bourg de Gorodok.
A douze ans, il entre donc comme apprenti dans un atelier de montre artisanale. Au cours des années de formation, il a dû suivre le parcours de l'apprentissage, où, sans salaire mais nourri et blanchi, on commence comme garçon de courses, serviteur du maître et souffre-douleur des apprentis plus anciens. Son patron, un certain Zukerman, remarque ses qualité et lui signe un contrat de deux ans. Mais l'adolescent épris de liberté, il se lie au mouvement démocratique révolutionnaire, se révolte contre les brimades... et se fait mettre à la porte.
La ville de Nevel
Il réside alors brièvement dans le bourg de Velizh sur les rives de la rivière Dvina,. Il y poursuit l'apprentissage de l'horlogerie, devant effectuer des journée de 12 à 14 heures et faire des taches domestiques. En 1900, son M. Prupas, frappe son fils de 10 ans qui s'était mal conduit au moment d'une prière du Shabbat. L'enfant se cogne en tombant et meurt. Pruss a raconté que, de brute qu'il était, Prupas, devint un maitre attentif et prévenant. Une fois le contrat terminé, Prupas a supplié l'adolescent de rester avec lui mais, ayant compris que Pruss était déterminé à partir, il lui donna non seulement des vêtements et de l'argent, mais aussi l'adhésion à la Guilde des horlogers. C’était une ouverture sur le monde, car des artisans qualifiés possédant des références de guilde étaient autorisés à se déplacer partout dans l’Empire, même s’ils étaient juifs. Un an plus, la gouvernement tsariste supprima cette disposition.
Pruss, qui avait alors 17 ans, s'en alla par les chemins et trouva un emploi dans une entreprise de Belgorod, où il réparait des montres pour les sucreries des environs de Koursk et de Kharkov. Il s'y lia à des étudiants révolutionnaires, et fut surpris en train de faire de la propagande aux les soldats de la 31e brigade d'artillerie casernés à Belgorod. Expulsé de la ville, il choisi de tenter sa chance à des milliers de kilomètres de là, sur le nouveau chemin de fer transsibérien, à Irkoutsk.
Pruss y trouva un emploi dans une exploitation aurifère, probablement celle de Yakov Frizer, le découvreur de l'or de Korolon, et comme réparateur de chronomètres de chemin de fer à Irkoutsk. Irkoutsk avait à l'époque une communauté juive dynamique, soudée et politisée, dont beaucoup étaient des Sibériens de 2e et 3e génération, descendants des exilés des soulèvements polonais.
Pruss en 1904
A Pâques 1903, un grand pogrom avait eu lieu à Kichinev, toléré, sinon fomenté, par les autorités. Les organisation juives et démocratiques dénoncèrent ces massacres et, en réponse, elles furent persécutées. Selon les archives de la police tsariste, l'Okhrana, Pruss a été perquisitionné le 3 décembre 1903, en raison de ses liens avec un cercle sioniste-socialiste assez inoffensif d'Irkoutsk : la Fraternité. La perquisition au domicile de Pruss allait être plus fructueuse que prévu, puisque les policiers allaient un énorme stock de littérature révolutionnaire illégale, dont les articles de la presse du Parti ouvrier social démocrate de Russie, et parmi ces derniers ceux du dirigeant du courant menchevik: Martov.
Pruss s'est retrouvé emprisonné dans la forteresse d'Irkoutsk pendant près d'un an. Ses charges comprenaient l'appartenance à une organisation subversive illégale (article 318 du code pénal), la production ou la distribution de littérature antigouvernementale illégale (article 251), ainsi que la création de textes antigouvernementaux pour son propre usage (récemment criminalisé par le nouveau Code pénal).
La prison forteresse d'Irkoutsk
Pruss eut la possibilité d'une libération conditionnelle le 20 juillet 1904, mais il ne pouvait payer l'énorme caution. Survint alors la naissance de l'héritier du trône impérial, célébrée par une amnistie générale pour toutes les infractions politiques. Lourdeurs bureaucratiques aidant, il a fallu des mois pour que la mesure soit effective mais finalement Pruss fut libéré et, à la mi-décembre, autorisé à quitter la ville. Il a déclaré aux autorités qu’il rentrait dans le gouvernement de Vitebsk, mais ses camarades savaient qu’il voulait quitter la Russie.
La guerre russo-japonaise changea la donne. Le mouvement ouvrier et le mouvement contre la guerre et l'autocratie s'élargirent et se radicalisèrent. Début janvier, plus de 100.000 travailleurs de Saint-Pétersbourg se mettent en grève et 150.000 se rendent à un rassemblement le dimanche 9 janvier 1905 pour demander au tsar des libertés, une journée de travail de 8 heures et l'Assemblée constitutionnelle. Les pétitionnaires ont été accueillis par des coups de feu, des centaines ont été tués et au lendemain du Dimanche sanglant, un soulèvement révolutionnaire embrasa toute la Russie.
Le "Dimanche sanglant" à Moscou
Il semble que Pruss s'était arrangé pour passer clandestinement la frontière allemande en utilisant les connexions sociales-démocrates, mais, en raison de la tourmente révolutionnaire, il s'est retrouvé coincé, sous une fausse identité, dans la grande ville juive de Białystok (aujourd'hui en Pologne). Il fut alors une nouvelle fois arrêté dans un appartement clandestin qui servait aussi de cache d'armes. Après plusieurs nuits dans des prisons locales surpeuplées, il a été transféré à Vilnius (aujourd'hui en Lituanie), toujours sous sa fausse identité.
Mais le soulèvement révolutionnaire prit de l'ampleur dans la région, contrôlant des parties entières des villes et des campagnes. Les révolutionnaires exigent et obtiennent la libération de prisonniers politiques et Pruss sort de prison le 25 février 1905. L'effervescence révolutionnaire était telle qu'il renonça à ses projets d'émigration pour se plonger dans le mouvement. Cependant, la contre-révolution allait peu à peu s'imposer et, en raison de lettres découvertes à Irkoutsk, l'Okhrana démasqua la fausse identité de Pruss en avril 1905. Menacé d'arrestation, Pruss dut quitter la Russie et chercher refuge en Suisse.
Sources:
http://riowang.blogspot.com/2016/01/times-and-timepieces-of-wolf-pruss-1.html
https://www.birthofsovietwatchmaking.com
http://www.mishpoha.org/o-zhurnale/zhurnal-mishpokha-39-2019/600-pruss-dmitrij-po-sledam-prussov-i-chernitskikh-v-gorodok
Dernière édition par Hanoi le Mer 18 Mar 2020 - 15:13, édité 2 fois
Hanoi- Expert
- Messages : 3635
Date d'inscription : 20/03/2015
Age : 61
Localisation : Bruxelles
Re: Vladimir "Wolf" Pruss, pionnier de l'horlogerie soviétique (1ère partie)
Merci à toi Hanoi,
En plus d'un superbe article comme à ton habitude, tu nous vides un peu l'esprit en continuant à faire vivre notre passion pour l'horlogerie soviétique et russe !
En plus d'un superbe article comme à ton habitude, tu nous vides un peu l'esprit en continuant à faire vivre notre passion pour l'horlogerie soviétique et russe !
Dernière édition par Erygyios le Mar 17 Mar 2020 - 20:30, édité 1 fois
Erygyios- Commissaire politique
- Messages : 1378
Date d'inscription : 09/01/2016
Localisation : Fin fond de la steppe
Re: Vladimir "Wolf" Pruss, pionnier de l'horlogerie soviétique (1ère partie)
Documenté et richement illustré, comme à ton habitude.
Merci Hanoï pour ce nouvel article
Merci Hanoï pour ce nouvel article
marouse- Membre du Parti
- Messages : 671
Date d'inscription : 21/09/2019
Age : 44
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