Un ouvrier américain à la 1ère Fabrique de Montres de Moscou (1934) I
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:: Les Montres Russes :: Poljot
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Un ouvrier américain à la 1ère Fabrique de Montres de Moscou (1934) I
Siegfried Weinstein est un ouvrier new-yorkais qui, pendant la grande crise, est parti travailler en URSS. Il ne fait pas partie des travailleurs américains qui ont acompagné les équipements de Dueber-Hampden lors de son rachat par l’URSS, pour y surviser le remontage et le lancement de la production (voir ici).
Son expérience a fait l’objet d’une publication en anglais et en allemand par la « Coopérative d’édition de travailleurs étrangers en URSS », en 1934.
Cette publication s’inscrit certes dans une démarche de propagande, mais est intéressante car détaillée et non dépourvue d’esprit critique.
L’édition anglaise
An American Worker in a Moscow Factory [Un ouvrier américain dans une fabrique moscovite]
Co-operative Publishing Society of Foreign Workers in the U.S.S.R. [Coopérative d’édition de travailleurs étrangers en URSS]
1934
L’édition allemande
Hier geht die Zeit schneller : ein amerikanischer Arbeiter in der Ersten Moskauer Uhrenfabrik [Ici, le temps s’accélère : un ouvrier américain dans la Première Fabrique de Montres de Moscou]
Verlag-Gnossenschaft ausl. Arbeiter in der UdSSR [Coopérative d’édition de travailleurs étrangers en URSS]
1934
Le livre commence par un licenbciement massif et collectif à New York, la décision de Sam de partir, son voyage jusqu'à Léningrad, et la comparaison qu'il fait entre les pays qu'il traverse et l'URSS.
Si son portrait des pays capitalistes frappés par la grande crise a une certaine force d'évocation, la manière dont il vante la vie en URSS sent un peu sa leçon apprise.
Je passe cette entrée en matière et ne vous mets ici que la partie du récit qui commence à Moscou
DESTINATION MOSCOU
Le train de Moscou était très bondé. J’avais l’impression que tout le monde allait à Moscou. Et je suppose que presque tous ceux qui le peuvent le font. Le voyage était très intéressant. Beaucoup de gens parlaient anglais ou allemand. L’un d’eux, un homme de l’Armée rouge, m’a beaucoup parlé du plan quinquennal et m’a montré les nombreuses nouvelles usines à l’extérieur de Léningrad – textile, tannage, fabrication d’instruments – toutes équipées de machines américaines.
Moscou est une ville merveilleuse. Mais c’est la foule de Moscou qui vous frappe en premier. Il n’y a rien de tel que les foules de Moscou, la foule affairée qui remplit toujours les rues, et sûrement aucune gare dans le monde n’est aussi bondée que les gares de Moscou avec des gens qui attendent pour voyager.
Le 1er mars, c’était encore l’hiver à Moscou. À l’hôtel, les touristes étaient traités comme des invités privés. Le personnel de l’hôtel acceptait une cigarette mais pas de pourboire. Dans le salon de coiffure de l’hôtel, une coiffeuse m’a rasé si gentiment que je lui ai remis un billet de rouble. Elle me l’a immédiatement rendu avec des excuses et des mots qui signifiaient que je l’avais offensée en lui offrant un pourboire. Je me suis senti très gêné de devoir reprendre ce rouble. Il y a encore des employés d’hôtels et de restaurants publics qui acceptent les pourboires, mais le pourboire en tant que pratique et la servilité qui l’accompagne ont en général disparu.
Pendant les cinq jours suivants, j’ai suivi le guide et j’ai fait le tour de Moscou. La neige avait été enlevée des rues et seuls les boulevards montraient que de fortes chutes de neige avaient récemment recouvert la ville. Le deuxième jour, certains touristes sont partis à la recherche d’un emploi et sont revenus à l’heure du repas avec tant d’offres et un choix si vaste que la faible incertitude qui pouvait se cacher au fond de mon esprit m’a complètement quitté.
Je n’ai eu aucun problème pour trouver un emploi. Le bureau des affaires étrangères m’a adressé au Trust des Mécaniques de Précision, comme on l’appelait alors. Elle est maintenant connue sous le nom de Trust de l’Horlogerie. Il possède deux splendides usines, un excellent laboratoire de recherche et des écoles techniques entièrement équipées pour former les ouvriers. Le directeur de l’emploi du Trust, qui parlait très bien l’allemand, a téléphoné à la 1ère Fabrique de Montres d’État et, en quelques minutes, il m’a trouvé un emploi dans le département des boîtiers de montres de cette usine.
Je suis allé voir l’usine sur place, puis j’ai cherché à savoir exactement quel travail je devais faire. J’ai découvert que l’usine était l’ancienne Dueber Hamden Watch Company de Canton, Ohio, dont les machines avaient été transportées dans leur intégralité en Union soviétique et relogées dans une grande et splendide nouvelle usine construite à cet effet.
J’ai interviewé le directeur qui parlait anglais avec un léger accent. Nous avons parlé très librement et franchement, comme si nous nous connaissions depuis des années. Il m’a proposé un contrat à cinq cents roubles par mois et une chambre. C’était un bon salaire et j’avais l’impression d’être sur du velours. Mais je n’ai pas loué la chambre, ignorant la rareté des logements dans cette ville en pleine expansion. J’y ai commis une erreur qui m’a causé quelques ennuis par la suite. Cependant, il a été décidé que je commencerais à travailler le jour suivant, le 6 mars 1931.
Il faisait un froid glacial le matin. Ma boîte à outils, contenant uniquement les instruments nécessaires pour commencer le travail, pesait environ 120 livres. Avec l’adresse de l’usine écrite sur un morceau de papier, je m’approchai d’un milicien et lui demandai dans un geste muet quel tramway je devais prendre. Il avait vu que ma boîte à outils était lourde à porter et, la prenant, il m’a aidé à me diriger vers le bon arrêt de tramway, qui se trouvait à environ un long pâté de maisons. C’était un service très amical, qui lui a donné beaucoup de mal. Je lui en ai été très reconnaissant et l’ai remercié également, comme je le pouvais. Cela a changé mon opinion sur les policiers. Mon animosité instinctive contre les policiers a complètement disparu ici. Bien sûr, les miliciens soviétiques ne sont pas des policiers au sens capitaliste du terme. Les policiers soviétiques sont les amis des travailleurs. Leur travail consiste à aider les gens tout en protégeant et en appliquant les lois. Ce sont de êtres humains bons, conscients de leur classe, dans une état ouvrier qui construit le socialisme.
Le tramway s’est arrêté juste devant la porte de l’usine, ce qui m’a permis de transporter plus facilement mes outils à l’intérieur et jusqu’au département où je devais travailler.
Permettez-moi d’interrompre mon récit pour donner un aperçu très succinct de l’industrie horlogère soviétique. Cette information ajoutera à l’intérêt de l’histoire et aidera le lecteur à avoir les bonnes perspectives, à mieux visualiser ce que nous devons faire dans cette industrie que nous construisons à partir de la base.
L’INDUSTRIE HORLOGÈRE SOVIÉTIQUE
Il n’y avait pas de montres fabriquées dans la Russie d’avant-guerre. Seuls les bourgeois et les classes moyennes possédaient des montres de poche. La majorité de la population russe n’a jamais possédé de montre. Beaucoup n’ont jamais appris à lire l’heure. Certains n’avaient même jamais vu une montre de leur vie. Les montres que l’on trouvait dans le pays étaient principalement des modèles anciens provenant de Suisse, de France et d’Allemagne. Pendant la guerre mondiale, des montres-bracelets ont été importées par les fauteurs de guerre russes pour l’usage exclusif des officiers de l’armée. Sinon, les montres de style moderne n’existaient pas.
En 1917, avec la Révolution d’Octobre, le prolétariat n’a hérité que d’une quantité négligeable de montres. Les importations, elles aussi, ont été complètement abandonnées.
Ce n’est que pendant la période de la nouvelle politique économique que les montres ont à nouveau fait leur apparition en Union soviétique.
Une concession a été accordée à un fabricant d’horloges à Moscou. Il a fabriqué une horloge murale bon marché dans le style chaîne et poids. La quantité était très faible et la qualité médiocre.
Le premier plan quinquennal a prévoit la création de deux grandes usines, l’une pour fabriquer des montres et l’autre pour se spécialiser dans les réveils. Une enquête sur les usines de montres et d’horloges à vendre a abouti, en 1928-29, à l’achat par des commissions soviétiques de la Dueber Hamden Walch Company de Canton, Ohio, et de l’Ansonia Clock Company de New York. Les machines de ces usines ont ensuite été expédiées à Moscou où deux magnifiques bâtiments modernes, ouverts à la lumière du jour, ont été construits par le Trust de l’Horlogerie pour les abriter.
La 1ère Fabrique de Montres d’État se trouve sur Voronzovskaya. La 2e Fabrique de Montres d’État a été construite à côté de l’ancienne usine concessionnaire Miemza, sur la route de Léningrad.
En octobre 1930, la 1ère Fabrique de Montres a commencé à produire quatre types de montres – deux montres de poche et deux montres-bracelets.
Le plan pour 1931 prévoyait 70 000 montres, mais seule la moitié de ce nombre a été fabriquée. Le plan pour 1932 prévoyait 70 000 montres et il a été dépassé de 10 pour cent. Pour 1933, le plan a été porté à 100 000 et tout porte à croire que la production sera supérieure à ce chiffre.
L’usine emploie 1 200 ouvriers et employés qui ont appris à produire des montres de bonne qualité. Ces montres ont été commandées par le gouvernement pour les cheminots et autres fonctionnaires qui doivent faire leur travail à temps. Ainsi, les travailleurs soviétiques peuvent maintenant devenir les fiers possesseurs de montres précises et bien faites de type sept et quinze rubis.
Ces montres sont entièrement fabriquées en métal soviétique. Même les rubis, qui étaient importés, sont maintenant fabriqués en Union soviétique. Jusqu’à récemment, les ressorts de montre étaient également importés. Mais après une expérimentation tenace, nous avons réussi à nous libérer des importations étrangères.
La 2e Fabrique de Montres produit des horloges et réveils à grande échelle. Elle se spécialise dans quatre types. Une horloge murale bon marché, à chaîne et à poids, dont elle prévoit de produire trois millions d’exemplaires cette année ; un réveil pour lequel elle prévoit 500 000 exemplaires pour 1933 ; une horloge de table standard, dont elle produira 50 000 exemplaires en 1933 et une horloge murale électrique dont elle prévoit de produire 10 000 exemplaires cette année. Cette usine emploie plus de 3 000 ouvriers.
Ces horloges sont également fabriquées entièrement en matériaux soviétiques par des ouvriers soviétiques. Il reste encore beaucoup à faire pour améliorer la qualité de cette production, mais les ouvriers apprennent vite. La fin du deuxième plan quinquennal verra sans aucun doute une grande augmentation non seulement de la production mais aussi de la qualité. L’industrie horlogère soviétique dans son ensemble n’en est qu’au début de ses réalisations.
La demande d’horloges et de montres est infiniment plus importante que l’offre. C’est pourquoi, dans le deuxième plan quinquennal, il est prévu de construire deux usines supplémentaires. Une commission a été chargée de localiser et d’acheter les usines à l’étranger. Entre-temps, le Trust de l’Horlogerie a ouvert un laboratoire de recherche, un institut qui fonctionne maintenant à plein régime.
Ce laboratoire expérimente toutes sortes de mécanismes ou de mouvements. Il comporte trois secteurs. Un secteur expérimente les montres. Un autre expérimente les horloges et les garde-temps électriques. Le troisième expérimente d’autres instruments de mesure du temps, comme les chronomètres, les compteurs, etc. Ce laboratoire emploie 150 personnes spécialement formées et, selon les plans envisagés, il sera bientôt agrandi pour employer un personnel de 750 personnes hautement qualifiées.
L’institut a réalisé de très belles horloges électriques originales qui ont subi les tests les plus sévères et se sont avérées efficaces. Toutes les conceptions sont faites en vue d’un production n’utilisant que du métal et des machines soviétiques.
Les ingénieurs soviétiques se tournent vers les machines automatiques pour effectuer le travail de précision dans les nouvelles usines. Cela va libérer les ouvriers de la fatigue oculaire et des opérations très difficiles qui exigent la plus grande habileté. Cela augmentera la production, réduira le gaspillage et abaissera les coûts.
L’ENTRÉE DANS LE MÉTIER
Dès la première minute, je ne me suis jamais senti aussi à l’aise dans aucun autre travail que j’ai eu. Je me suis dit : Voilà ta chance, Sam, de voir ce que tu peux vraiment faire pour le plan quinquennal. J’ai demandé à l’interprète de m’emmener faire un tour dans l’usine pour rencontrer d’autres Américains.
J’étais convaincu que je pouvais améliorer une grande partie du travail dans mon propre département. Westner, l’Américain qui était à la tête du département dont je devais m’occuper, devait terminer son contrat dans une dizaine de jours et repartir pour l’Amérique. J’avais donc un peu de temps pour reprendre le travail et tout remettre en ordre. Mais Westner ne semblait pas disposé à m’aider et il a même mis l’interprète sous son influence. Je n’en veux pas à l’interprète, bien sûr, car il était habitué à Westner et j’étais un nouveau venu.
La seule chose à faire était de faire de mon mieux pour me débrouiller sans lui. Les jeunes travailleurs soviétiques de ce département m’ont dit que Westner les laissait livrés à eux-mêmes et qu’il ne les aidait ni ne les instruisait jamais correctement. En conséquence, le plan de ce département n’a été réalisé qu’à 30 %.
Naturellement, j’ai fait de mon mieux pour travailler avec ce Westner. Je tenais à trouver la cause de ce problème. Mais il répondait sèchement à mes questions, disait que le métal n’était pas bon, que les ouvriers n’étaient pas bons et que leur travail était nul. Il noircissait et déformait la réalité.
Au bout de quelques jours, j’ai compris quel genre de type il était. J’ai trouvé les ouvriers très disposés à faire leur maximum. Leur travail était mauvais, vraiment mauvais, mais c’était la faute de Westner et parce que ses instructions n’étaient pas correctes. Quant au métal, il était assez bon et seulement légèrement inférieur au métal américain.
Mais j’ai résumé la situation de mon département des boîtiers de montres. Il ne réalisait que 30 pour cent de son plan. Qu’est-ce qui n’allait pas ? Personne ne semblait le savoir. En tout cas, tout le département était bloqué pour un jeu de matrices. Un ouvrier russe qualifié s’y était attelé pendant un mois sans réussir à le fabriquer à la bonne taille. De toute évidence, c’était un travail que je devais faire moi-même. Je m’y suis donc attelé, dans le cadre de mon métier habituel d’outilleur-matriceur, en travaillant à l’établi, ce que ne faisait pas l’autre contremaître, ce qui, soit dit en passant, m’a immédiatement valu la confiance de ma brigade.
Son expérience a fait l’objet d’une publication en anglais et en allemand par la « Coopérative d’édition de travailleurs étrangers en URSS », en 1934.
Cette publication s’inscrit certes dans une démarche de propagande, mais est intéressante car détaillée et non dépourvue d’esprit critique.
L’édition anglaise
An American Worker in a Moscow Factory [Un ouvrier américain dans une fabrique moscovite]
Co-operative Publishing Society of Foreign Workers in the U.S.S.R. [Coopérative d’édition de travailleurs étrangers en URSS]
1934
L’édition allemande
Hier geht die Zeit schneller : ein amerikanischer Arbeiter in der Ersten Moskauer Uhrenfabrik [Ici, le temps s’accélère : un ouvrier américain dans la Première Fabrique de Montres de Moscou]
Verlag-Gnossenschaft ausl. Arbeiter in der UdSSR [Coopérative d’édition de travailleurs étrangers en URSS]
1934
Le livre commence par un licenbciement massif et collectif à New York, la décision de Sam de partir, son voyage jusqu'à Léningrad, et la comparaison qu'il fait entre les pays qu'il traverse et l'URSS.
Si son portrait des pays capitalistes frappés par la grande crise a une certaine force d'évocation, la manière dont il vante la vie en URSS sent un peu sa leçon apprise.
Je passe cette entrée en matière et ne vous mets ici que la partie du récit qui commence à Moscou
DESTINATION MOSCOU
Le train de Moscou était très bondé. J’avais l’impression que tout le monde allait à Moscou. Et je suppose que presque tous ceux qui le peuvent le font. Le voyage était très intéressant. Beaucoup de gens parlaient anglais ou allemand. L’un d’eux, un homme de l’Armée rouge, m’a beaucoup parlé du plan quinquennal et m’a montré les nombreuses nouvelles usines à l’extérieur de Léningrad – textile, tannage, fabrication d’instruments – toutes équipées de machines américaines.
Moscou est une ville merveilleuse. Mais c’est la foule de Moscou qui vous frappe en premier. Il n’y a rien de tel que les foules de Moscou, la foule affairée qui remplit toujours les rues, et sûrement aucune gare dans le monde n’est aussi bondée que les gares de Moscou avec des gens qui attendent pour voyager.
Le 1er mars, c’était encore l’hiver à Moscou. À l’hôtel, les touristes étaient traités comme des invités privés. Le personnel de l’hôtel acceptait une cigarette mais pas de pourboire. Dans le salon de coiffure de l’hôtel, une coiffeuse m’a rasé si gentiment que je lui ai remis un billet de rouble. Elle me l’a immédiatement rendu avec des excuses et des mots qui signifiaient que je l’avais offensée en lui offrant un pourboire. Je me suis senti très gêné de devoir reprendre ce rouble. Il y a encore des employés d’hôtels et de restaurants publics qui acceptent les pourboires, mais le pourboire en tant que pratique et la servilité qui l’accompagne ont en général disparu.
Pendant les cinq jours suivants, j’ai suivi le guide et j’ai fait le tour de Moscou. La neige avait été enlevée des rues et seuls les boulevards montraient que de fortes chutes de neige avaient récemment recouvert la ville. Le deuxième jour, certains touristes sont partis à la recherche d’un emploi et sont revenus à l’heure du repas avec tant d’offres et un choix si vaste que la faible incertitude qui pouvait se cacher au fond de mon esprit m’a complètement quitté.
Je n’ai eu aucun problème pour trouver un emploi. Le bureau des affaires étrangères m’a adressé au Trust des Mécaniques de Précision, comme on l’appelait alors. Elle est maintenant connue sous le nom de Trust de l’Horlogerie. Il possède deux splendides usines, un excellent laboratoire de recherche et des écoles techniques entièrement équipées pour former les ouvriers. Le directeur de l’emploi du Trust, qui parlait très bien l’allemand, a téléphoné à la 1ère Fabrique de Montres d’État et, en quelques minutes, il m’a trouvé un emploi dans le département des boîtiers de montres de cette usine.
Je suis allé voir l’usine sur place, puis j’ai cherché à savoir exactement quel travail je devais faire. J’ai découvert que l’usine était l’ancienne Dueber Hamden Watch Company de Canton, Ohio, dont les machines avaient été transportées dans leur intégralité en Union soviétique et relogées dans une grande et splendide nouvelle usine construite à cet effet.
J’ai interviewé le directeur qui parlait anglais avec un léger accent. Nous avons parlé très librement et franchement, comme si nous nous connaissions depuis des années. Il m’a proposé un contrat à cinq cents roubles par mois et une chambre. C’était un bon salaire et j’avais l’impression d’être sur du velours. Mais je n’ai pas loué la chambre, ignorant la rareté des logements dans cette ville en pleine expansion. J’y ai commis une erreur qui m’a causé quelques ennuis par la suite. Cependant, il a été décidé que je commencerais à travailler le jour suivant, le 6 mars 1931.
Il faisait un froid glacial le matin. Ma boîte à outils, contenant uniquement les instruments nécessaires pour commencer le travail, pesait environ 120 livres. Avec l’adresse de l’usine écrite sur un morceau de papier, je m’approchai d’un milicien et lui demandai dans un geste muet quel tramway je devais prendre. Il avait vu que ma boîte à outils était lourde à porter et, la prenant, il m’a aidé à me diriger vers le bon arrêt de tramway, qui se trouvait à environ un long pâté de maisons. C’était un service très amical, qui lui a donné beaucoup de mal. Je lui en ai été très reconnaissant et l’ai remercié également, comme je le pouvais. Cela a changé mon opinion sur les policiers. Mon animosité instinctive contre les policiers a complètement disparu ici. Bien sûr, les miliciens soviétiques ne sont pas des policiers au sens capitaliste du terme. Les policiers soviétiques sont les amis des travailleurs. Leur travail consiste à aider les gens tout en protégeant et en appliquant les lois. Ce sont de êtres humains bons, conscients de leur classe, dans une état ouvrier qui construit le socialisme.
Le tramway s’est arrêté juste devant la porte de l’usine, ce qui m’a permis de transporter plus facilement mes outils à l’intérieur et jusqu’au département où je devais travailler.
Permettez-moi d’interrompre mon récit pour donner un aperçu très succinct de l’industrie horlogère soviétique. Cette information ajoutera à l’intérêt de l’histoire et aidera le lecteur à avoir les bonnes perspectives, à mieux visualiser ce que nous devons faire dans cette industrie que nous construisons à partir de la base.
L’INDUSTRIE HORLOGÈRE SOVIÉTIQUE
Il n’y avait pas de montres fabriquées dans la Russie d’avant-guerre. Seuls les bourgeois et les classes moyennes possédaient des montres de poche. La majorité de la population russe n’a jamais possédé de montre. Beaucoup n’ont jamais appris à lire l’heure. Certains n’avaient même jamais vu une montre de leur vie. Les montres que l’on trouvait dans le pays étaient principalement des modèles anciens provenant de Suisse, de France et d’Allemagne. Pendant la guerre mondiale, des montres-bracelets ont été importées par les fauteurs de guerre russes pour l’usage exclusif des officiers de l’armée. Sinon, les montres de style moderne n’existaient pas.
En 1917, avec la Révolution d’Octobre, le prolétariat n’a hérité que d’une quantité négligeable de montres. Les importations, elles aussi, ont été complètement abandonnées.
Ce n’est que pendant la période de la nouvelle politique économique que les montres ont à nouveau fait leur apparition en Union soviétique.
Une concession a été accordée à un fabricant d’horloges à Moscou. Il a fabriqué une horloge murale bon marché dans le style chaîne et poids. La quantité était très faible et la qualité médiocre.
Le premier plan quinquennal a prévoit la création de deux grandes usines, l’une pour fabriquer des montres et l’autre pour se spécialiser dans les réveils. Une enquête sur les usines de montres et d’horloges à vendre a abouti, en 1928-29, à l’achat par des commissions soviétiques de la Dueber Hamden Walch Company de Canton, Ohio, et de l’Ansonia Clock Company de New York. Les machines de ces usines ont ensuite été expédiées à Moscou où deux magnifiques bâtiments modernes, ouverts à la lumière du jour, ont été construits par le Trust de l’Horlogerie pour les abriter.
La 1ère Fabrique de Montres d’État se trouve sur Voronzovskaya. La 2e Fabrique de Montres d’État a été construite à côté de l’ancienne usine concessionnaire Miemza, sur la route de Léningrad.
En octobre 1930, la 1ère Fabrique de Montres a commencé à produire quatre types de montres – deux montres de poche et deux montres-bracelets.
Le plan pour 1931 prévoyait 70 000 montres, mais seule la moitié de ce nombre a été fabriquée. Le plan pour 1932 prévoyait 70 000 montres et il a été dépassé de 10 pour cent. Pour 1933, le plan a été porté à 100 000 et tout porte à croire que la production sera supérieure à ce chiffre.
L’usine emploie 1 200 ouvriers et employés qui ont appris à produire des montres de bonne qualité. Ces montres ont été commandées par le gouvernement pour les cheminots et autres fonctionnaires qui doivent faire leur travail à temps. Ainsi, les travailleurs soviétiques peuvent maintenant devenir les fiers possesseurs de montres précises et bien faites de type sept et quinze rubis.
Ces montres sont entièrement fabriquées en métal soviétique. Même les rubis, qui étaient importés, sont maintenant fabriqués en Union soviétique. Jusqu’à récemment, les ressorts de montre étaient également importés. Mais après une expérimentation tenace, nous avons réussi à nous libérer des importations étrangères.
La 2e Fabrique de Montres produit des horloges et réveils à grande échelle. Elle se spécialise dans quatre types. Une horloge murale bon marché, à chaîne et à poids, dont elle prévoit de produire trois millions d’exemplaires cette année ; un réveil pour lequel elle prévoit 500 000 exemplaires pour 1933 ; une horloge de table standard, dont elle produira 50 000 exemplaires en 1933 et une horloge murale électrique dont elle prévoit de produire 10 000 exemplaires cette année. Cette usine emploie plus de 3 000 ouvriers.
Ces horloges sont également fabriquées entièrement en matériaux soviétiques par des ouvriers soviétiques. Il reste encore beaucoup à faire pour améliorer la qualité de cette production, mais les ouvriers apprennent vite. La fin du deuxième plan quinquennal verra sans aucun doute une grande augmentation non seulement de la production mais aussi de la qualité. L’industrie horlogère soviétique dans son ensemble n’en est qu’au début de ses réalisations.
La demande d’horloges et de montres est infiniment plus importante que l’offre. C’est pourquoi, dans le deuxième plan quinquennal, il est prévu de construire deux usines supplémentaires. Une commission a été chargée de localiser et d’acheter les usines à l’étranger. Entre-temps, le Trust de l’Horlogerie a ouvert un laboratoire de recherche, un institut qui fonctionne maintenant à plein régime.
Ce laboratoire expérimente toutes sortes de mécanismes ou de mouvements. Il comporte trois secteurs. Un secteur expérimente les montres. Un autre expérimente les horloges et les garde-temps électriques. Le troisième expérimente d’autres instruments de mesure du temps, comme les chronomètres, les compteurs, etc. Ce laboratoire emploie 150 personnes spécialement formées et, selon les plans envisagés, il sera bientôt agrandi pour employer un personnel de 750 personnes hautement qualifiées.
L’institut a réalisé de très belles horloges électriques originales qui ont subi les tests les plus sévères et se sont avérées efficaces. Toutes les conceptions sont faites en vue d’un production n’utilisant que du métal et des machines soviétiques.
Les ingénieurs soviétiques se tournent vers les machines automatiques pour effectuer le travail de précision dans les nouvelles usines. Cela va libérer les ouvriers de la fatigue oculaire et des opérations très difficiles qui exigent la plus grande habileté. Cela augmentera la production, réduira le gaspillage et abaissera les coûts.
L’ENTRÉE DANS LE MÉTIER
Dès la première minute, je ne me suis jamais senti aussi à l’aise dans aucun autre travail que j’ai eu. Je me suis dit : Voilà ta chance, Sam, de voir ce que tu peux vraiment faire pour le plan quinquennal. J’ai demandé à l’interprète de m’emmener faire un tour dans l’usine pour rencontrer d’autres Américains.
J’étais convaincu que je pouvais améliorer une grande partie du travail dans mon propre département. Westner, l’Américain qui était à la tête du département dont je devais m’occuper, devait terminer son contrat dans une dizaine de jours et repartir pour l’Amérique. J’avais donc un peu de temps pour reprendre le travail et tout remettre en ordre. Mais Westner ne semblait pas disposé à m’aider et il a même mis l’interprète sous son influence. Je n’en veux pas à l’interprète, bien sûr, car il était habitué à Westner et j’étais un nouveau venu.
La seule chose à faire était de faire de mon mieux pour me débrouiller sans lui. Les jeunes travailleurs soviétiques de ce département m’ont dit que Westner les laissait livrés à eux-mêmes et qu’il ne les aidait ni ne les instruisait jamais correctement. En conséquence, le plan de ce département n’a été réalisé qu’à 30 %.
Naturellement, j’ai fait de mon mieux pour travailler avec ce Westner. Je tenais à trouver la cause de ce problème. Mais il répondait sèchement à mes questions, disait que le métal n’était pas bon, que les ouvriers n’étaient pas bons et que leur travail était nul. Il noircissait et déformait la réalité.
Au bout de quelques jours, j’ai compris quel genre de type il était. J’ai trouvé les ouvriers très disposés à faire leur maximum. Leur travail était mauvais, vraiment mauvais, mais c’était la faute de Westner et parce que ses instructions n’étaient pas correctes. Quant au métal, il était assez bon et seulement légèrement inférieur au métal américain.
Mais j’ai résumé la situation de mon département des boîtiers de montres. Il ne réalisait que 30 pour cent de son plan. Qu’est-ce qui n’allait pas ? Personne ne semblait le savoir. En tout cas, tout le département était bloqué pour un jeu de matrices. Un ouvrier russe qualifié s’y était attelé pendant un mois sans réussir à le fabriquer à la bonne taille. De toute évidence, c’était un travail que je devais faire moi-même. Je m’y suis donc attelé, dans le cadre de mon métier habituel d’outilleur-matriceur, en travaillant à l’établi, ce que ne faisait pas l’autre contremaître, ce qui, soit dit en passant, m’a immédiatement valu la confiance de ma brigade.
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Re: Un ouvrier américain à la 1ère Fabrique de Montres de Moscou (1934) I
Ça me rappel ( ce devrait être l'inverse ) Le dernier paradis d'Antonio Garrido en 2016 ASIN : B01FXM44SS
"Jack, comme tant d’autres travailleurs, est une victime de la crise des années 30. Renvoyé parce qu’il est juif de l’usine Ford où il travaillait à Détroit, il retourne habiter chez son père, à New York. L’homme, vieux, colérique, sombre, à l’instar du pays, dans la dépression. Jack, sans travail, sans argent, a bien du mal à s’occuper de ce père devenu alcoolique, et à payer le loyer que le propriétaire, Kowalski, leur réclame chaque semaine de façon toujours plus insistante.
Un soir que Kowalski débarque avec deux hommes de main, un coup de feu part. Persuadé qu’il va être accusé de meurtre, Jack n’a d’autre choix que de fuir le pays. Il s’embarque alors avec son ami Andrew, un idéaliste et militant communiste de la première heure, pour l’Union soviétique car cette nation nouvelle, paradis des travailleurs, cherche des ouvriers qualifiés pour développer son industrie automobile.
Pourtant, une fois en URSS, les promesses s’évanouissent et les illusions laissent la place au désenchantement. Jack découvre un monde où tout est respect de l’ordre, répression et corruption. Devenu agent double bien malgré lui, il se laisse entraîner par les événements, mais il va bientôt devoir chercher à comprendre qui tire réellement les ficelles de son destin et choisir son camp, en politique comme en amour."
"Jack, comme tant d’autres travailleurs, est une victime de la crise des années 30. Renvoyé parce qu’il est juif de l’usine Ford où il travaillait à Détroit, il retourne habiter chez son père, à New York. L’homme, vieux, colérique, sombre, à l’instar du pays, dans la dépression. Jack, sans travail, sans argent, a bien du mal à s’occuper de ce père devenu alcoolique, et à payer le loyer que le propriétaire, Kowalski, leur réclame chaque semaine de façon toujours plus insistante.
Un soir que Kowalski débarque avec deux hommes de main, un coup de feu part. Persuadé qu’il va être accusé de meurtre, Jack n’a d’autre choix que de fuir le pays. Il s’embarque alors avec son ami Andrew, un idéaliste et militant communiste de la première heure, pour l’Union soviétique car cette nation nouvelle, paradis des travailleurs, cherche des ouvriers qualifiés pour développer son industrie automobile.
Pourtant, une fois en URSS, les promesses s’évanouissent et les illusions laissent la place au désenchantement. Jack découvre un monde où tout est respect de l’ordre, répression et corruption. Devenu agent double bien malgré lui, il se laisse entraîner par les événements, mais il va bientôt devoir chercher à comprendre qui tire réellement les ficelles de son destin et choisir son camp, en politique comme en amour."
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Pascal54, LeDocteur et JM50 aiment ce message
Re: Un ouvrier américain à la 1ère Fabrique de Montres de Moscou (1934) I
Ah oui: si vous voyez des fautes ou des coquilles, signalez-les-moi svp, que je peaufine ma traduction.
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